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Mu Kara Sani
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40 ‖ DECEMBRE 2024

Aïcha TAMBOURA DIAWARA et Taïrou BANGRE

Promotion et adoption de l'allaitement maternel exclusif au Burkina Faso

Article

Résumé

L’allaitement maternel exclusif est une des pratiques essentielles à la lutte contre la mortalité néonatale qui est élevée au Burkina Faso. Cependant, cette pratique n’est pas totalement respectée. Pourquoi ? Que faire ? L’objectif principal est d’analyser les actions de communication de la Direction de la Nutrition sur l’adoption de l’allaitement maternel exclusif en vue de contribuer à la réduction de la mortalité néonatale. Pour ce faire, l’approche méthodologique a consisté à réaliser une revue documentaire sur le sujet à partir d’étude de cas, couplée d’enquêtes qualitative et quantitative auprès de personnes ressources (35) et bénéficiaires (50).

Les résultats indiquent (i) le renforcement des connaissances des cibles sur les avantages de la pratique (54%), (ii) un début de changement de perceptions qui a des effets sur leur comportement, (iii) une proposition d’organisation du système de santé peu favorable à la réalisation de la pratique à cause du faible engagement des sages-femmes qui constituent le premier canal de communication vis-à-vis des cibles sur le sujet.

Abstract

Exclusive breastfeeding is an essential practice in the fight against high neonatal mortality in Burkina Faso. However, this practice is not fully respected. Why is this? What needs to be done? The main objective is to analyse the communication actions of the Nutrition Department on the adoption of exclusive breastfeeding with a view to contributing to the reduction of neonatal mortality. To do this, the methodological approach consisted of carrying out a literature review on the subject based on case studies, coupled with qualitative and quantitative surveys of resource persons (35) and beneficiaries (50).

The results indicate that (i) the targets' knowledge of the benefits of the practice has increased (54%), (ii) perceptions are beginning to change and this is having an effect on their behaviour, (iii) the proposed organisation of the healthcare system is not conducive to the practice because of the low level of involvement of midwives, who are the primary channel of communication with targets on the subject.

Texte intégral

pp.148-165

01/12/2024

Introduction

1La mortalité néonatale demeure un problème de santé publique en Afrique de l’Ouest et au Burkina Faso en particulier. Pour ce faire, l’OMS et l’UNICEF ont fait de l’allaitement maternel exclusif une des pratiques essentielles de la lutte contre la mortalité néonatale. En effet, les propriétés antiseptiques du lait maternel contribuent à protéger les nourrissons contre plusieurs infections. Des études ont montré que « le bénéfice de l’allaitement maternel est optimal lorsqu’il est introduit précocement et que l’enfant est nourri au sein de façon exclusive pendant les 6 premiers mois de sa vie. » (Rotsakti, et al. 1992 : 49).  Selon l’OMS, « le taux de l’allaitement exclusif reste faible dans le monde avec 35% de nourrissons qui reçoivent exclusivement le lait maternel à un moment quelconque entre la naissance et l’âge de 6 mois », (OMS/UNICEF, 1993 : 18). La situation est un peu plus reluisante au Burkina Faso car « la pratique exclusive de l’allaitement maternel exclusif est passée de 29, 2% en 2012 à 69, 06 % en 2021 à l’échelle nationale » (Le Fasonet, 2022 : 2). Cependant, la pratique de l’allaitement maternel exclusif avant les six premiers mois de l’enfant n’est pas totalement respectée à cause de plusieurs facteurs sociaux et comportemental. Il s’agit de facteurs tels que les idées reçues par rapport au lait maternel, les normes sociales en faveur de l’eau à donner aux bébés à cause de la chaleur et aussi du fait culturel qui dit que « le nouveau-né qui vient d’arriver doit boire l’eau de bienvenu », de l’indisponibilité et/ou des moments de séparation de la mère et du nourrisson. Les pratiques inappropriées et les apports nutritionnels insuffisants en cas de maladie accroissent le risque de malnutrition. Cela contribue à 35 % des décès chez les enfants de moins de cinq ans et à 11 % de la mortalité mondiale, ce qui en fait un problème majeur de santé publique (OMS/UNICEF, 1994 : 37)..

2Cette situation engendre des conséquences sanitaires (infections, cancers infantiles, retards de croissance, etc.) et économiques (achat et entretient du matériel de biberon, frais médicaux suites aux pathologies infectieuses, etc. Malgré les efforts du Ministère de la Santé, via la Direction de la Nutrition, pour promouvoir l’allaitement exclusif, une campagne nationale pluriannuelle est actuellement en cours au Burkina Faso pour atteindre un taux de 80 % d’allaitement exclusif des nourrissons jusqu’à six mois d’ici 2025. Cette campagne s’appuie sur la stratégie nationale de plaidoyer et de communication pour le changement social et comportemental, intitulée « Plus fort avec le lait maternel uniquement ». Néanmoins, des difficultés persistent, notamment en raison de pratiques inadaptées et d’un manque de sensibilisation efficace, limitant l’adhésion de la population à cette pratique à l’échelle nationale. Cet article part de l’hypothèse que la qualité des informations et des consignes reçues par les mères et leur entourage, ainsi que les discours opposés à l’allaitement exclusif, influencent l’adoption de cette pratique. De plus, il examine dans quelle mesure les agents de santé peuvent jouer un rôle dans les choix en matière d’allaitement. L’objectif est ainsi d’analyser les actions de communication de la Direction de la Nutrition pour promouvoir l’allaitement maternel exclusif et contribuer à la réduction de la mortalité néonatale.

3Pour explorer la problématique de cette recherche, nous nous appuyons sur le concept de « communication pour le changement social et comportemental » (CCSC) développé par l’Université Johns Hopkins. Cette approche vise à encourager et faciliter des évolutions dans les connaissances, attitudes, normes, croyances et comportements, en mobilisant un ensemble d’activités et de stratégies pour promouvoir des habitudes saines (GIZ, 2019 : 1).

Méthodologie

4Cet article part des conclusions d’une étude de cas sur la communication et l’allaitement maternel exclusif dans la ville de Ouagadougou pour approfondir la réflexion sur le sujet. La méthode utilisée a consisté à réaliser une revue documentaire sur le sujet (ouvrages, documents techniques, articles de presse écrite et en ligne, thèses, mémoires, compilation de résultats d’études réalisées à Ouagadougou et Bobo-Dioulasso, etc.), couplée d’une méta-analyse de différentes études et sources de données sur les perceptions, les attitudes et pratiques de la population par rapport à l’allaitement maternel exclusif. Une enquête qualitative a été réalisée auprès de personnes ressources au sein du Ministère de la Santé (2), de la Direction de la Nutrition (3), des infirmiers et sages-femmes dans les centres de santé (5) chargés de sensibiliser les mères sur l’allaitement maternel exclusif, des mères allaitantes (10) et des femmes en grossesse (15). Une enquête quantitative auprès des bénéficiaires et de la population (50) a permis de recueillir des informations sur la communication relative à l’allaitement maternel exclusif.

Résultats/Discussion

5Cette partie présente les résultats issus de la recherche dont l’état des lieux de la communication de la Direction de la Nutrition sur l’allaitement maternel exclusif et propose une synthèse des niveaux de connaissance, de perceptions, de pratiques des bénéficiaires et acteurs sur le sujet. Ces données ont été collectées durant l’enquête, autour des thèmes de la maternité maternelle exclusive, des canaux de communication, des messages et des appréciations globales sur la communication en faveur de l’allaitement maternel exclusif.

Etat des lieux de la communication de la Direction de la Nutrition sur l’allaitement maternel exclusif

6La Direction de la Nutrition est l’une des directions techniques du ministère de la santé. Elle est rattachée à la Direction Générale de la Santé Publique et s’occupe des questions liées à la nutri-tion au Burkina Faso. Dotée d’un service de prévention de la malnutrition et de promotion des pratiques nutritionnelles adéquates, la direction ne dispose pas d’un communicateur à propre-ment dit. Néanmoins, elle possède des techniciens formés dans le domaine de la nutrition et qui s’occupent de la vulgarisation de l’information avec l’accompagnement du Directeur de la Communication et de la Presse Ministérielle du ministère de la santé. Ces efforts sont décuplés lors de la semaine de l’allaitement maternel exclusif célébrée en août de chaque année, où du-rant une semaine, des activités de communication sont réalisées dans les médias audiovisuels (débat télé, diffusion de messages et de spots dans les langues), presse écrite, réseaux sociaux, briefing de journaliste suivie de conférence de presse. Par ailleurs, la campagne nationale dé-nommée « Plus Fort avec le Lait Maternel Uniquement » a été lancée en août 2020 par le Mi-nistère de la Santé avec le soutien de l'UNICEF, d'Alive & Thrive et d'autres partenaires pour propulser le Burkina Faso vers l'atteinte d'un taux national d'allaitement maternel exclusif de 80 % d'ici 2025. D’une durée de quatre ans, cette initiative cherche à intégrer des activités de changement social et comportemental ainsi que des outils de communication aux interventions existantes du programme « Alimentation du Nourrisson et du Jeune Enfant ». L’objectif est de transformer la pratique consistant à donner de l’eau aux enfants de moins de six mois en com-plément du lait maternel, pour privilégier exclusivement le lait maternel.

7Dans le cadre de cette campagne, le Ministère de la Santé a reçu un financement de la Banque mondiale pour évaluer et renforcer les compétences des travailleurs de la santé, en vue d’assurer la mise en œuvre réussie du slogan « Plus Fort avec le Lait Maternel Uniquement » et de soutenir une campagne nationale de communication. Deux activités ont été prévues pour la période 2022-2023 : des cartes de conseil et des programmes radio liés au thème de la cam-pagne ont été adaptés, pré-testés, et un programme de formation spécifique a été élaboré. Ac-tuellement, ces outils sont déployés dans dix districts dans le cadre d’une phase pilote avant un lancement à plus grande échelle.

Du dispositif communicationnel 

8Le dispositif communicationnel de la Direction de la Nutrition repose sur la stratégie de communication, élaborée avec la collaboration de l’UNICEF et l’initiative ALIVE & THRIVE dont l’orientation repose sur le changement social et comportemental. La stratégie de communication repose sur deux axes principaux : le renforcement des capacités des agents de santé et le plaidoyer en faveur du changement politique et programmatique. Elle vise à encourager des politiques favorables à l’allaitement exclusif et des changements sociaux pour arrêter de donner de l’eau aux nourrissons de moins de six mois. Elle a pour objectif de mobiliser les partenaires, les entreprises, les communautés et les familles à s’assurer que les mères reçoivent les informations adéquates et le soutien dont elles ont besoin pour adopter la pratique de l’allaitement exclusif et ainsi donner à leurs enfants le meilleur départ dans la vie.

9Le dispositif comporte les cibles, approches, canaux, outils/supports et activités :

Des cibles : Les cibles de la stratégie sont : les mères, les agents de santé, des professionnelles des organisations de la société civile et du privé, des chefs coutumiers et religieux, des groupements féminins, des journalistes et professionnels des médias.
Des approches, canaux, outils/supports : La communication de la Direction de la Nutrition repose sur plusieurs approches dont l’information, le dialogue, la communication de proximité (communication interpersonnelle et de groupes), la mobilisation communautaire st sociale, la sensibilisation, la communication de masse, le renforcement de capacités, le plaidoyer, la promotion, la communication pour le changement de comportement.
Les canaux sont composés par les personnes modèles (mères et grand-mères), les écoles de maris, les chefs coutumiers et religieux, les leaders d’opinion et les agents de santé.
Les outils et supports utilisés sont : la radio/télévision, les affiches, les panneaux publicitaires, les maternités, les boîtes à image, l’évènementiel.
Des actions de communication : les actions suivantes entre autres ont été réalisées :
organisation de séances de dialogue et de conseils autour de l’allaitement exclusif avec personnes modèles (mères et grand-mères), des maris;
séances de sensibilisation à travers les chefs coutumiers et religieux et de nouvelles mères ;
séances d’échanges sur l’adoption de l’allaitement exclusif diffusion de programmes à la radio et à la télévision ;
implantation d’affiches et de panneaux publicitaires ;
organisation de sessions de formation sur l’allaitement ;
organisation de sessions d’orientation des professionnelles des organisations de la société civile et du privé, des chefs coutumiers et religieux, des groupements féminins et des journalistes et professionnels des médias ; etc.

Analyse des Forces, faiblesses, Opportunités et Menaces (FFOM) de la communication de la Direction sur le lait maternel exclusif

10La Direction de la Nutrition fait des efforts pour mettre à disposition des populations bénéficiaires les informations utiles pour adopter et pratiquer l’allaitement maternel exclusif de la naissance de l’enfant à 6 mois. Ces efforts sont soutenus par des actions de communication multiformes en vue d’impulser le changement souhaité et attendu. De plus, pour améliorer la communication sur l’allaitement maternel exclusif, il est essentiel d’identifier les forces, faiblesses, opportunités et menaces par le biais d’une analyse FFOM.

11Au titre des forces : on peut retenir entre autres : la présence d’une stratégie de communication, la diversité des approches et des canaux, le partenariat avec des organisations, des journalistes et professionnels des médias, l’existence de politiques favorables à l’allaitement exclusif et des changements sociaux, l’engagement des agents de santé, l’implication des chefs coutumiers et religieux, des groupements féminins, des mères, grand-mères et époux, l’utilisation des langues nationales, la diversification des canaux de communication, l’existence de boîte à image, le renforcement de capacités des acteurs sur le sujet, l’existence de relais pour la sensibilisation de la population cible, la célébration de la Semaine Mondiale de l’allaitement exclusif, l’organisation de campagne d’information, de sensibilisation et d’affichages, le prétest des outils de communication, l’existence d’outils de communication pour le changement social et comportemental.

12Au titre des faiblesses : l’absence de communicateur au sein de l’équipe de la Direction de la Nutrition, et de média planning, les activités de personnes modèles ne sont pas décrites, le contenu du dialogue et des échanges n’est pas présenté, l’absence de stratégie de plaidoyer, la non spécification des langues utilisées, l’absence de plan de communication multimédia au niveau national d’appui aux activités communautaires de promotion des pratiques optimales de l’Alimentation du Nourrisson et du Jeune Enfant, etc.

13Au titre des opportunités : le dispositif de communication sur l’allaitement maternel exclusif peut se baser sur les opportunités suivantes: l’existence d’un dispositif institutionnel, l’engagement et l’appui financièr et technique des partenaires, Le renforcement et le maintien de l’élan autour de l’allaitement maternel à travers l’existence d’un « plan de passage à l’échelle de la promotion des pratiques optimales d’alimentation du nourrisson et du jeune enfant au Burkina Faso (2013 – 2025) », la mobilisation communautaire autour de la question, etc.
Au titre des menaces : pour ne pas être inefficace, le dispositif de communication doit tenir compte des menaces suivantes : la situation d’insécurité, la désinformation et le développement des rumeurs négatives, la saturation par les messages, l’insuffisance de moyen financiers et matériels, la prolifération des substituts du lait maternel ainsi que des aliments et ustensiles d'alimentation pour les nourrissons et les jeunes enfants, etc

Facteurs limitant les pratiques optimales de l’allaitement maternel exclusif

14Les résultats des investigations ont permis d’identifier les facteurs limitant les pratiques optimales de l’allaitement maternel exclusif. Ils sont de plusieurs ordres : culturel, communicationnel, économique et structurel. La synthèse de ces facteurs est présentée dans le tableau ci-après.

15Tableau 1 : Synthèse des facteurs limitant les pratiques optimales de l’allaitement maternel exclusif

Domaines

Facteurs limitant les pratiques optimales de l’allaitement maternel exclusif

Aspects communautaire et familial

Persistance de la perception que l’enfant ne peut rester sans boire de l’eau dans la période 0 – 6 mois

Persistance de la perception que le lait maternel ne suffit plus avec la croissance de l’enfant dans la période d’âge 0 – 6 mois et des aliments de complément s’imposent trop précocement.

Fortes influences négatives à une pratique optimale d’allaitement dans certaines communautés (mari, grand-mère, chefs de village, responsables coutumiers ou religieux, tradipraticiens de santé).

Aspects liés à la communication

Fréquence irrégulière des activités de sensibilisation menées par les acteurs communautaires

Absence de normes de qualité pour déterminer la disponibilité ou non de ressources humaines adéquates pour mener les activités de promotion de l’allaitement maternel exclusif.

Absence de plan de communication multimédia au niveau national d’appui aux activités communautaires de promotion des pratiques optimales de l’allaitement maternel exclusif.

Absence de protocole pour l’élaboration du contenu des messages spécifiques à l’allaitement maternel exclusif pour les agents de santé

Non maitrise des approches de changement sociale par les acteurs. Insuffisance dans la promotion de l’utilisation des aliments disponibles dans les ménages

Faible efficience des mécanismes existants de communication entre les communautés et les prestataires de santé

Aspects liés au système de santé

Mauvaise conception des infrastructures sanitaires pour favoriser l’allaitement précoce du fait de l’étroitesse des salles d’accouchement

Insuffisance de conseils sur les pratiques optimales de l’allaitement maternel exclusif au niveau des contacts existants dans les structures de santé (consultations prénatales, accouchement, consultation nourrisson sain ou malade, séance vaccination)

Insuffisance de promotion des pratiques optimales de l’allaitement maternel exclusif de 0 – 6 mois

Manque de conviction dans la diffusion de l’information par les sages-femmes auprès des cibles

Etat d’esprit de doute des sages-femmes sur la pratique optimum de l’allaitement maternel

Peu de soutien pratique à la technique de l’allaitement par les sages-femmes aux femmes ayant accouchées et peu d’explication sur l’intérêt de l’allaitement exclusif

Source : Enquête terrain réalisée en mai 2021

16Ces facteurs sont des éléments déterminants pour la réussite du changement de perception, d’attitude et de comportement. Ils peuvent engendrer des conséquences d’ordre sanitaire et économique. Les enfants qui ne sont pas allaités au sein présentent un risque accru de maladies, telles que la diarrhée, les infections respiratoires aiguës et la pneumonie, ainsi qu'un risque de décès plus élevé. De plus, les mères qui ne pratiquent pas l'allaitement sont plus susceptibles de développer des cancers potentiellement mortels, des problèmes de qualité de vie, ainsi que du diabète de type II. Quant aux coûts économiques, ils sont les résultats de : l’augmentation des coûts pour les systèmes de santé, la perte de productivité et l’augmentation des dépenses des ménages car les familles doivent acheter des substituts du lait maternel. Pour minimiser ces conséquences, des actions de communication pour le changement social et comportemental combinées à d’autres facteurs connexes importants doivent être mises en œuvre.

Les raisons de la résistance au changement social et comportemental

17Les comportements peuvent favoriser la généralisation de bonnes pratiques mais ils peuvent aussi les contourner. Selon J. O. Prochaska et C. Diclemente (1982, p.149) « une approche basée sur la communication pour le changement social et comportemental efficace utilise les données socio-comportementales pour identifier les moyens d’éviter ce contournement ». Cela signifie qu’il faut comprendre l’évolution des perceptions et des attitudes et pratiques des gens, ainsi que les obstacles et les facteurs qui influencent leur capacité et leur motivation à adopter et maintenir des comportements positifs en matière de pratique de l’allaitement maternel exclusif. En réponse au taux élevé de mortalité néonatale, de multiples efforts doivent être déployés pour collecter, analyser et utiliser les données socio-comportementales en vue de dresser un tableau des perceptions, de la compréhension et des pratiques des gens par rapport à l’allaitement maternel exclusif.

18Le changement de perception, d’attitude et de comportement débute nécessairement par une connaissance sur les bienfaits de l’allaitement maternel exclusif. Cette connaissance est une étape essentielle pour l’adoption et la pratique de comportements positifs comme le souligne en ces termes P. Girukwayo (2019, p.2) « le changement de perception, d’attitude et de comportement débute nécessairement par une connaissance des conséquences néfastes de la non utilisation de l’allaitement maternel exclusif ». Cependant, d’autres facteurs socio-comportementaux présentés par A. Bandura en 1971 influent également sur l’adoption et le maintien de la pratique de l’allaitement maternel exclusif. Les éléments clés de ses facteurs incluent l'attention (focalisation sur un comportement modélisé), la rétention (mémorisation du comportement observé), la reproduction (imitation du comportement appris) et la motivation (influencée par des récompenses ou sanctions).

19La population cible a été informée des bienfaits de l’allaitement maternelle à travers plusieurs canaux de communication dont : (i) les médias de masse (télévision, radio, presse écrite en ligne), (ii) les réseaux sociaux (site web et page Facebook du Ministère de la santé, Facebook, etc.), (iii) les affiches, les flyers, les spots, (iv) les boîtes à outils. Au regard de l’utilisation de tous ces outils de communication, on estime que l’information est arrivée au destinataire, comme l’attestent les résultats de l’enquête réalisée en mai 2021. En effet, la majeure partie des enquêtés (42 sur 50), soit 84% connaissait l’existence de la Direction de la Nutrition et a reçu des informations sur les bienfaits de l’allaitement maternel exclusif. On peut en déduire que l’objectif de communication est atteint selon le modèle linéaire de communication de Shannon et Weaver qui consiste à ce que « un émetteur transmet un message reçu par un récepteur qui le décode, y compris toutes les influences, et le traduit pour lui-même » (Pierce, 1980 : 75). Cependant, la manière dont ce message est perçu dépend souvent de chaque personne individuellement. Mais, ce modèle est-il suffisant pour faire adopter le comportement souhaité, à savoir pratiquer l’allaitement maternel exclusif jusqu’à l’âge de 6 mois ?

20La prédominance des médias nous permet de dire que la communication de masse a été importante, car elle a permis de toucher le maximum de population cible. Cette population a également été informée par d’autres canaux secondaires comme : vi) les agents de santé à base communautaire, les dialogues et conseils communautaires (par les familles et leurs entourages) et les visites à domicile pour la communication interpersonnelle. L’accent a été suffisamment mis sur les formations sanitaires (affichage de messages et images) et les agents de santé formés, qui sont proches de la population et bénéficient de la grande confiance de celle-ci, surtout pour une question liée à la santé néonatale. Une communication portée par ces derniers est plus crédible car ils font partie de l’environnement et sont indiqués pour apporter les soins aux enfants malnutris. Toutes les femmes interviewées (25) reconnaissent avoir pris part aux activités de sensibilisation sur l’allaitement maternel dans les centres de santé et bien compris les bienfaits pour l’enfant. Cependant, selon G. Besset (2004, p.123), « l’effet d’un message sur le changement de comportement n’est pas immédiat. Il passe par plusieurs étapes avant que le récepteur n’adhère au contenu du message, se l’approprie et décide de l’intégrer dans ses habitudes et pratiques ».

21En effet, un des aspects qui est peu relevé par les études sur le sujet est la complexité de l’allaitement et la manière dont les mères mobilisent différents types de savoirs pour allaiter et pour surmonter les difficultés qui se posent lors de l’allaitement. En effet, l’allaitement est trop souvent perçu comme une pratique « innée » et « ­naturelle » qu’il suffit de « promouvoir ». « Pourtant, l’allaitement maternel n’est pas un acte aussi naturel qu’on peut le croire au vu des résultats d’une étude qui a fait ressortir les difficultés que les jeunes mamans rencontrent à la maternité » (Som, 2020 , p.114). De plus, la recommandation de l’allaitement exclusif entre en contradiction avec certaines pratiques sociales et culturelles selon des résultats d’étude effectuée en Afrique de l’Ouest d’après lesquelles de nombreuses femmes ne comprennent pas exactement ce que recouvre l’allaitement maternel exclusif ni comment il faut le réaliser. Ainsi, une étude réalisée au Burkina Faso a décrit « les difficultés qu’éprouvent certaines femmes pour mettre leur bébé au sein. Selon cette étude, certains nouveau-nés ont passé trois jours sans être allaités parce que les mamans ne savaient pas comment s’y prendre » (Mariaux et al. 2008 : 32).

22La question de l’apprentissage des techniques d’allaitement se pose notamment pour les jeunes mères, parfois adolescentes, qui sont peu conseillées, dans un contexte sanitaire où les accouchements s’enchaînent et où l’accent est plutôt mis sur la survie de la mère et de l’enfant avant et pendant l’accouchement. De plus, La notion d’allaitement exclusif n’est pas acceptée ou comprise par certaines communautés qui pensent que donner à boire au nouveau-né une décoction entre dans le domaine des soins et de l’entretien du bébé, et ne remet pas en question la poursuite de l’allaitement exclusif. De plus, les croyances des femmes ne sont pas toujours en conformité avec le changement souhaité parce que selon elles « quand un bébé naît, il faut le laver avec des tisanes (écorces des arbres), et c’est anormal que le bébé fasse six mois sans boire de l’eau ». Ces croyances sont renforcées par les guérisseurs et leurs pratiques autour de l’allaitement qui estiment que l’allaitement maternel doit être accompagné de décoctions et de tisanes pour renforcer la santé de la mère et de l’enfant.

23Par ailleurs, le manque de conviction dans la diffusion de l’information est l’une des difficultés de l’insuffisance de l’adoption de l’allaitement exclusif. Beaucoup de sages-femmes doutent de l’application de l’allaitement maternel exclusif mais sont indulgentes face aux préparations de décoctions et infusions au sein même de la maternité. Ainsi donc, l’allaitement maternel exclusif se heurte non seulement à des pratiques qui sont ancrées dans les coutumes des communautés mais aussi au sceptissisme des sages-femmes qui ne peuvent être changé qu’au travers de la mise à disposition de l’information, de l’éducation, de la mobilisation sociale, du plaidoyer et de la formation.

24Les résultats des enquêtes soulignent qu’il y a eu un effort considérable de communication de la part de la Direction de la Nutrition sur les bienfaits de l’allaitement maternel exclusif avec un taux d’efficacité de 54%, et un niveau de satisfaction de 67%. Même si les actions de communication et d’information ciblées ont renforcé les connaissances des cibles, amorcé un début de changement au niveau de leurs perceptions, les effets sur leur comportement se construisent difficilement. En effet, une étude sur l’allaitement maternel exclusif doit être abordée de manière holistique car au-delà de l’éducation des cibles, il convient de travailler également sur les agents de santé, en particulier les sages-femmes qui sont les premières à être en contact avec les cibles lors des consultations prénatales et l’accouchement. Aussi, elles constituent le premier canal de communication sur le sujet et peuvent profiter de leur statut pour influencer la décision des cibles par rapport à l’adoption de l’allaitement maternel exclusif. Les entretiens ont fait ressortir que l’attention des sages-femme est majoritairement portée sur les gestes techniques et très peu sur les informations à donner et à faire appliquer pour la survie du nouveau-né. L’allaitement maternel exclusif se heurte non seulement à des pratiques qui sont ancrées dans les croyances des communautés, mais aussi à une organisation du système de santé peu favorable à sa mise en œuvre. Dans tous les cas, il est essentiel de réexaminer en profondeur la dimension informationnelle et communicationnelle des soignants envers les patients. Cela permettra d'intégrer de manière complémentaire et constructive les aspects techniques entourant l'accouchement avec les éléments communicationnels, afin de favoriser l'adoption de pratiques bénéfiques pour la santé de la mère et de l'enfant.

Conclusion

25Les professionnels de la communication pour le développement ont fréquemment supposé que la meilleure manière de changer les comportements des gens était de fournir de nombreux arguments sur les bonnes raisons d’adopter les comportements promus. Même si le fait de donner des informations peut être important, une concentration excessive sur l’amélioration des connaissances et une attention insuffisante aux autres facteurs d’influence sont la cause d’échec de nombreuses interventions, en dépit de leurs bonnes intentions. En effet, cette recherche a montré que l’adoption de l’allaitement exclusif fait face à des pratiques profondément enracinées dans les croyances des communautés et à une organisation du système de santé qui n’encourage pas sa mise en œuvre. Cela souligne l'importance de la communication pour remédier à cette situation.

26A la lumière de cette recherche, la partie information et communication des agents de santé vis-à-vis des mères sont une problématique centrale à revoir dans son intégralité. Pour l´adoption de pratiques favorables à la santé de la mère et de l´enfant, il faut que les aspects techniques qui entourent l´accouchement s´imbriquent de façon complémentaire et constructive avec les aspects communicationnels. L´allaitement exclusif est en péril dans les formations sanitaires dans la ville de Ouagadougou, d´où l’urgence de revoir la politique sanitaire en la matière pour redynamiser les activités afin de réduire la mortalité néonatale et infantile. Aussi, Il serait intéressant, pour d’autres études, d’approfondir cet aspect pour accroitre l’adoption et la pratique de l’allaitement maternel exclusif de 0-6 ans.

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Pierce John Robinson An Introduction to Information Theory : Symbols, Signals & Noise, Courier Dover Publications, 1980, 305 p.

Pour citer ce document

Aïcha TAMBOURA DIAWARA et Taïrou BANGRE, «Promotion et adoption de l'allaitement maternel exclusif au Burkina Faso», Mu Kara Sani [En ligne], Dossiers, 40 ‖ DECEMBRE 2024, mis � jour le : 14/02/2025, URL : http://mukarasani.com/mukarasani/index.php?id=504.

Quelques mots à propos de :  Aïcha TAMBOURA DIAWARA

Université Joseph Ki Zerbo

aicheydiawara@gmail.com

Quelques mots à propos de :  Taïrou BANGRE

Université Joseph Ki Zerbo,