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40 ‖ DECEMBRE 2024

Abdoul Wahab SOUMANA et Ayouba DJIBO IBRAH

De la privatisation de l’école à la marchandisation de l’éducation dans les établissements privés de l’enseignement secondaire général de la ville de Zinder

Article

Résumé

Le Niger connait ce dernier temps le développement d’une offre éducative privée dans les grandes villes comme Zinder. L’objectif général de cet article vise à analyser les facteurs et les effets de ce phénomène dans la ville de Zinder. Dans le cadre de cette recherche, c’est l’approche mixte qui a été privilégiée avec l’utilisation de deux guides d’entretien à l’endroit de vingt administrateurs des écoles privées, cinq responsables du secteur de l’éducation et quatre personnes ressources. Trois questionnaires ont été administrés à un échantillon de cent acteurs de l’éducation. D'après les résultats, il ressort deux facteurs expliquant la privatisation de l’enseignement secondaire à Zinder : la demande croissante des parents et les prestations offertes par le privé face à une école publique qui répond peu ou pas aux attentes de la société en termes d’offre éducative. Cette privatisation débouche sur une marchandisation de l’éducation avec des effets ambivalents. Ce sont, d’une part, la récupération des élèves exclus du public, la constitution d’une source de revenu pour les promoteurs; d’autre part la banalisation de l’éducation, son coût élevé, la délinquance et la fraude en milieu scolaire.

Abstract

Niger has, in a recent past, experienced the development of a private educational offer in large cities like Zinder, because the number of private schools has increased from 5 in 2000 to 31 in 2020. This paper aims to analyze the challenges of this phenomenon in Zinder city. To reach its goal, it used a mixed approach comprising two interview guides for twenty private school administrators, five education sector managers and four resource people, and three questionnaires administered to a sample of one hundred education stakeholders. According to the findings, two factors explained the imminent privatization of secondary school in Zinder, namely: the multiplication of private schools in terms of educational provision, the growing demand from parents and the services offered by private schools compared to public schools which poorly meet the society’s expectations in terms of educational offer. The privatization of schools leads to the marketisation of education with ambivalent effects which are, on the one hand, the recovery of students excluded from public schools, the creation of a source of income for school promoters, on the other, the trivialization of education, its high cost and fraud in schools.

Texte intégral

pp. 126-147

01/12/2024

Introduction

1Jadis, l’éducation formelle ou plus précisément l’éducation scolaire était totalement à la charge de l’État, c’est-à-dire elle était toute publique. Elle était à cet effet « un droit pour tous ». Cela est reconnu par plusieurs textes internationaux comme la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) de 1948 en son article 26 qui stipule que « toute personne a droit à l‘éducation » et aussi par la constitution du Niger du 25 novembre 2010 en son article 12 stipulant que « chacun a droit à la vie, à la santé […] à l’éducation et à l’instruction dans les conditions définies par la loi ».

2Mais, depuis quelques décennies le secteur éducatif a connu beaucoup de mutations, suite à l’évolution démographique de la population du monde. Cette croissance démographique a amené de nombreux pays, du Sud à ne pas pouvoir satisfaire les besoins en scolarisation de leurs peuples. C’est ainsi que 57 000 000 d’enfants, d’adolescents et de jeunes ne sont pas scolarisés en Afrique centrale et de l’Ouest, soit 24,1% des 236 000 000 enfants non scolarisés dans le monde, alerte le conseil norvégien1.

3Au Niger l’UNESCO (2019) a déjà relevé que 1 647 273 enfants n’ont pas pu accéder à l’école. En 2022 le Ministre nigérien en charge de l’Éducation Nationale a noté que 4 695 725 enfants tout cycle confondue ne vont pas à l’école, dans un entretien qu’il a accordé à la Radio France International le 29/12/2022. Rappelons au passage qu’en 2019, près de 24 000 élèves ont été exclus du système scolaire dans la région de Zinder, selon la direction régionale de l’éducation nationale (DREN). Ces situations conduisent à la nécessité de trouver d’autres voies alternatives pour augmenter les possibilités d’offres éducatives à un plus grand nombre d’enfant en âge d’aller à l’école, d’où surgit l’idée de la privatisation dans le secteur éducatif.

4Selon les données de l’enquête de la Coalition ASO EPT Niger (2018-2019), en 2014, il y avait à peu près 300 établissements d’enseignement secondaire général privé et 602 en 2019 ; On constate qu’en cinq ans, le nombre d’écoles privées a doublé.

5Selon M. SOULEYMANE (2021, p.53-54) « le 1èr établissement secondaire privé de la ville de Zinder fut créé en 1975 et fut appelé collège Laminou Koulibaly (CEG/LAKO) ». « Le nombre d’établissements scolaires privés au 1er cycle du secondaire (le collège) était passé de treize (13) en (2010-2011) à dix-huit (18) en (2014-2015) » (INS/Annuaire Statistique Régional, 2011-2015). En 2017 la région de Zinder compte quarante-cinq (45) établissements privés des enseignements secondaires dont vingt-cinq (25) sont installés dans la ville de Zinder (ASO/EPT, 2017). En 2020 ce nombre est à soixante-deux (62) établissements privés de l’enseignement secondaire dont dix-neuf (19) Collège d’Enseignement Général (CEG), un (1) Lycée et quarante-deux (42) Complexe Scolaire Privé (CSP) selon la Direction de l’Enseignement Secondaire Général Privé du Ministère de l’enseignement Secondaire en date du 2 Avril 2020. Entre 2017 et 2020, chaque année au moins cinq (5) nouveaux établissements privés y sont créés. Dans la ville de Zinder trente un (31) établissements d’enseignement général secondaire privés fonctionnels ont été recensés lors de la pré-enquête de juin 2022. Alors on constate que le privé évolue plus que le public, alors que ce dernier regorge le plus grand effectif d’élèves. À titre d’exemple, en 2021, la ville de Zinder compte soixante-cinq (65) établissements secondaires d’enseignement général dont trente (30) du secteur public (46,15%) et trente-cinq (35) du secteur privé (53,85%) selon les Directions Départementales de l’Éducation Nationale (DDEN Zinder I et II, 2022).

6En outre, on enregistre la création d’au moins un établissement privé par an de 2015 à 2020 et une instabilité des frais scolaires au sein de ces établissements d’une part. D’autre part, la question de la privatisation dans le système éducatif suscite beaucoup de débat au Niger en général et à Zinder en particulier. À partir de ces constats, on peut s’interroger sur les facteurs et les effets de ce phénomène dans la ville de Zinder. À titre illustratif, des organisations comme la Coalition ASO-EPT se mobilisent pour lutter contre la privatisation et/ou la marchandisation de l’éducation avec leur slogan « ne vendez pas l’école ». La coalition dénonce une évolution précoce et rapide des écoles privées et son impact sur le système éducatif nigérien.

7À cet effet, cette recherche se focalise sur l’enseignement secondaire général privé (traditionnel et franco-arabe) dans la Ville de Zinder, notamment les CEG privées, les Lycées privés et les Complexe Scolaire Privées (CSP). C’est pourquoi la question principale de cette recherche est la suivante : quels sont les facteurs qui expliquent la privatisation dans l’enseignement secondaire général dans la ville de Zinder ?

8L'objectif général de la recherche vise à analyser les facteurs et les effets de la multiplication des écoles privées dans l’enseignement secondaire général dans la ville de Zinder.

Approche méthodologique de la recherche

9Dans le cadre de cet article, nous avons choisi la méthode mixte combinant la méthode quantitative à la méthode qualitative pour pouvoir analyser les dimensions aussi bien socioculturelles qu’économiques du problème que l’une ou l’autre des deux méthodes à elle seule ne permettrait pas. La méthode qualitative a permis de réaliser des d’entretiens avec des responsables des établissements d’enseignement secondaire général privés, des cadres du secteur de l’éducation et des personnes ressources de la ville de Zinder. À ces entretiens semi-directifs se sont ajoutées quelques séances d’observation directe dans les écoles privées interrogées. Ces observations ont porté sur les comportements vestimentaires et les coiffures des élèves, les échanges verbaux entre enseignants ou administrateurs et élèves pendant les cours et les échanges verbaux entre les élèves eux-mêmes.
La méthode quantitative quant à elle, a permis de faire une enquête par questionnaire en administrant des questionnaires respectivement aux enseignants des écoles privées, aux parents d’élèves et aux élèves.
La collecte des données est intégralement basée sur un échantillon de vingt (20) écoles privées de la ville de Zinder dont les groupes cibles sont repartis dans le tableau suivant :

Tableau N°1 :récapitulatif des personnes interrogées

Groupes cibles

Nombre

Responsables d’école

20

Enseignants

40

Elèves

40

Parents d’élèves

20

Responsables du secteur de l’éducation

5

Personnes ressources (syndicats et société civile)

4

Total

129

Source : enquête de terrain Zinder juillet-novembre 2022

10Les données quantitatives ont été traitées et analysées à l’aide des logiciels (SPSS) et EXCEL, alors que les données qualitatives ont fait l’objet d’un traitement manuel et d’une analyse du contenu.

Résultat de la recherche

11La recherche a abouti à plusieurs résultats dont les plus saillants sont présentés à travers les points suivants. Ils concernent les facteurs de la privatisation, les manifestations de la marchandisation de l’éducation et les effets qui en découlent.

Facteurs de la privatisation de l’enseignement secondaire général dans la ville de Zinder

Facteurs liés aux politiques nationales et internationales

12À l’échelle national, on peut citer parmi les facteurs, l’adoption de la loi n°96 du 1er juin 1996 régissant l’enseignement privé du primaire au supérieur, l’arrêté N°00182/MEN/MFP/TE/DPE/FP/DEPRI du 7 octobre 1997 portant libéralisation des frais de scolarité et de formation professionnelle dans l’enseignement privé auxquels s’ajoute la signature d’une convention avec l’État dont l’intérêt est réciproque (le privé reçoit les élèves du public et l’État y octroie des enseignants). En ces termes, un fondateur d’une école privée, interrogé le 18 septembre 2022, précise :

Les écoles privées sont des atouts pour l’État et c’est pourquoi certains d’entre nous ont signé de convention avec lui bien que l’État n’est pas du tout équitable et juste dans le contrat envers certains établissements privés. Ainsi, il y a un établissement privé dont parmi ses 43 enseignants 27 sont affectés par l’État, contrairement aux autres qui peinent à avoir des enseignants de l’État dans leurs établissements .

13Il y a en outre la gestion de quelques aspects de la création des écoles privées par le ministère du commerce, toute chose qui a favorisé la création presque sans contrôle ni suivi des établissements privés etc. C’est pourquoi lors d’un débat radiophonique, un participant a affirmé : « C’est l’État même qui favorise la marchandisation de l’éducation en laissant une partie de l’enseignement privé dans les mains du ministère du commerce »2.

14À ce niveau, A. ASSANE IGODOE & M. ISSOUFOU (2022), disaient :

 L’appui de l’État à l’enseignement privé se manifeste par des mesures sur l’offre (octroi de terrains et des enseignants aux établissements privés) et sur la demande (octroi d’une aide financière aux élèves sous forme de bourses). Cela montre que l’État soutient favorablement le développement de l’offre éducative privée au Niger .

15La contractualisation et le volontariat dans l’enseignement, les reformes répétitives des programmes et l‘insuffisance des infrastructures d’accueil dans les écoles publiques sont d’autres facteurs non moins importants qui ont participé à la multiplication des écoles privées. À l’échelle internationale, le Niger a ratifié en 2015 les Objectifs du Développement Durable (ODD), en particulier le quatrième objectif (ODD4) qui stipule : « assurer l’accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité, et promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie »

Facteurs liés à la demande sociale et à l’offre éducative privée

16La figure n°1 présente les facteurs favorisant la marchandisation de l’enseignement secondaire général d’après les enseignants des écoles privées de la ville de Zinder.
À travers la figure ci-dessous, on constate que plusieurs facteurs du développement de la « marchandise éducative » ont été également identifiés au niveau secondaire dans la ville de Zinder.

Figure N°1 : facteurs selon les enseignants du privé

Image 10000201000002F6000000E9842E7BE8A20EBFC6.png

Source :Enquête de terrain, Zinder, juillet-novembre 2022.

17Cette figure n°1 fait ressortir quelques facteurs du développement d’un marché autour de l’éducation.

18En ce qui concerne l’exclusion massive des élèves qui a un taux de 27%, un inspecteur de la Direction Départementale de l’Éducation Nationale (DDEN II) affirme : «Le taux d’échec et d’exclusion au public est au-dessus de 30% » (entretien du 15 septembre 2022).

19La concurrence entre les fondateurs qui a enregistré un taux de 8% a fait dire à un membre de l’Association des Parents d’Élèves/Étudiants (APE/E) interrogé le 6 octobre 2022 à Zinder que « certains entrepreneurs sans vocation se lancent dans la création des écoles privées à tout bout de champ ». Ce deuxième facteur, malgré le faible pourcentage, est assez interpellateur dans l’expression de la « marchandisation de l’éducation ». Le manque de vocation évoqué par l’interviewé rappelle à son tour la question de la banalisation de l’éducation qui est d’ailleurs analysé dans cet article. Dans le même ordre d’idée, le système éducatif semble devenir un espace dans lequel la promotion des « entreprises éducatives » se poursuit sans entrave. Cette émergence des entreprises éducatives demeure alors un facteur non moins important de la multiplication des écoles privées au sujet duquel un surveillant a dit :

« Tout le monde veut gagner dans le système éducatif, les commerçants, les menuisiers, etc » (entretien du 28 septembre 2022).

20Mais cette multiplication des écoles privées entre dans le cadre de la dynamique de l’entreprenariat privé (18%), si on s’en tient au point de vue des enseignants interrogés. Sous un autre angle, on comprend à travers les points de vue des enseignants interrogés, que si les écoles privées multiplient à Zinder, c’est parce qu’elles deviennent de plus en plus aimées ou choisies par les parents et les élèves pour des raisons très peu soupçonnées à savoir la fréquentation de l’école privée comme prestige sociale (11%). Cette notion de prestige peut être fondée sur les conditions d’étude (école bien clôturée, classes ventilées voir climatisées avec un nombre réduit d’élèves…) dont sont dépourvues les écoles publiques. Être à l’école privée qui était jadis peu appréciable devient de nos jours un signe pour distinguer les élèves issus des familles aisées et des familles qui veulent voir leurs enfants réussir : la fréquentation des écoles privées devient de plus en plus un phénomène de mode. C’est ce que témoigne les propos d’un agent de la Direction Régionale de l’Éducation Nationale de Zinder qui disait : « Il y a des élèves ou des membres des familles qui imposent l’inscription dans le privé même si les capacités économiques du ménage ne permettent pas le de faire, parce qu’ils ont vu d’autres parents inscrire leurs enfants dans les écoles privées » (entretien du 16 septembre 2022). Des facteurs comme la croissance démographique, la non performance des écoles publiques et la baisse de niveau des élèves du public ayant enregistré le même pourcentage (8%), peuvent avoir entre eux - dans une certaine mesure - des liens de cause à effet. Ces éventuels liens de causes à effet sont fondés dans la mesure où l’État lui-même reconnait le nombre élevé des populations scolarisables face à un nombre peu élevé et qualifié de ressource humaine dans une situation où les infrastructures éducatives ne répondent pas toujours aux attentes.

Manifestations de la marchandisation de l’éducation au niveau secondaire dans la ville de Zinder

Présentation des frais de scolarité dans les établissements d’enseignement secondaire général privés pour les classes de troisièmes et de terminales

21Ces frais présentés nous permettent de saisir l’idée de la marchandisation dans la mesure où l’éducation passe de la gratuité à la privatisation, questionnant du coup les bourses des parents. À défaut d’analyser les frais de scolarité de tous les niveaux allant de la sixième à la terminale, cette recherche s’est focalisée uniquement sur les classes de troisième et de terminale dans un but illustratif. Le tableau ci-dessous présente la situation des frais de scolarité dans les écoles privées de la ville de Zinder.

Tableau N°2 : répartition des établissements privés selon les frais de scolarité en classe de 3ème

Frais de scolarité

Nombre

Fréquence (%)

0f

1

5

60000f-70000f

3

15

71000f-80000f

2

10

81000f-90000f

5

25

91000-100000f

2

10

101000f-110000f

3

15

111000f-120000f

3

15

131000f-140000f

1

5

Total

20

100

Source : Enquête de terrain, Zinder, juillet-novembre 2022.

22Les établissements privés sont des établissements où la scolarisation est payée soit par les parents d’élèves soit par les associations humanitaires. À cet effet, les données du terrain ont montré qu’un seul établissement privé de l’enseignement secondaire assure la scolarisation des enfants en classe de 3ème gratuitement soit 5% des établissements enquêtés. On a également un (1) seul établissement dont les frais de scolarité sont à plus de 130000f par élève en classe de 3ème. Mais les établissements privés les plus nombreux en termes de frais de scolarité sont ceux qui ont des frais dans l’intervalle de 81 000 franc CFA à 90 000franc CFA. Cette situation s’explique par le fait que les établissements privés fixent majoritairement des frais qui ne sont ni moins élevés ni plus élevés que les autres établissements dans un souci d’équilibre, ne serait-ce qu’approximatif.

Tableau N°3 : répartition des établissements privés selon les frais de scolarité en classe de Terminale

Frais de scolarité classe de Terminale

Nombre

Fréquence (%)

100000f-120000f

1

8,33

121000f-150000f

4

33,33

171000-190000f

4

33,33

191000f-210000f

3

25

Total

12

100%

Source :Enquête de terrain, Zinder, juillet-novembre 2022.

23Dans la ville de Zinder, les frais de scolarité en classe de terminales sont répartis comme suit :
Il est ressorti du tableau n°2 que les établissements privés les plus chers sont au nombre de 3 soit 25% des 12 établissements ayant des classes de terminale, se situant dans l’intervalle de 191000franc CFA à 210000franc CFA. Un seul établissement privé soit 8,33% à des frais de scolarité en classe de terminales compris entre 100000franc CFA et 120000franc CFA. Les 8 autres établissements ont des frais de scolarité se situant entre ces deux extrémités. De prime abord, il faut noter que plusieurs personnes d’interrogées y compris certains chefs desdites écoles se sont prononcées contre la hausse des frais de scolarité dans les écoles privées. C’est ainsi qu’un proviseur d’une école privée disait : 

Il faut que l’État ait un œil regardant sur la fixation des frais de scolarité dans les établissements puisqu’il y a même des établissements très chers qui n’apportent pas un taux de réussite conséquent dans la ville de Zinder.  (Entretien du 13/09/2022)

24En plus, cette question a été débattue dans un forum organisé par le groupe de média Studio Kalangou le 27/10/2022. Ce débat a souligné que les frais de scolarité ne sont pas stables dans toutes les écoles privées du Niger. Certes, ces frais sont déjà élevés pour les nigériens moyens dont la plupart, issus de famille nombreuse vivent avec des revenus peu décents. Mais selon L. ZHENG & ZHENG, 2020) cité par J. WANG (2021, p.187) :

Les écoles privées comptent sur les frais scolaires payés par les familles qui les fréquentent pour leur fonctionnement. Ces frais contribuent à plus de 70% aux revenus des écoles privées qui ont pu fixer un seuil d’entrée et sélectionner les élèves en fonction du capital économique disposé par leur famille.

25Cependant, les écoles privées ne sont pas toutes financées par les parents car il y a des écoles privées non-payantes ou moins chères dans la ville de Zinder, même si elles sont moins nombreuses comme le montre le tableau N°1. Ces établissements reçoivent les financements des ONG/Projets ou d’autres partenaires techniques et financiers voire le soutien de l’État

Coût des cours de remédiation, une autre manifestation de la marchandisation de l’éducation

26Le tableau suivant présente la situation des 10 parents d’élèves ayant recruté des enseignants de remédiation pour leurs enfants, sur les 20 interrogés, avec les frais payés chaque fin du mois, par enfant. Cette variable est mise en relation avec le nombre d’élèves inscrits au privé dans chaque ménage.

Tableau N°4 : croisement entre nombre d’élèves au privé dans le ménage et les frais mensuels de cours de répétition par élève

Nombre d’élèves au privé dans le ménage

Frais de cours de répétition des enfants

5000-10000F

11000-20000F

21000-30000F

Total

1-3

5

2

0

7

4 à plus

1

1

1

3

Total

6

3

1

10

Source :Enquête de terrain, Zinder, juillet-novembre 2022.

27À travers le tableau n°4, on constate que les frais mensuels de ces cours de remédiation varient de 5000 franc CFA à 30000franc CFA par élève. Ensuite, 7 parents sur dix ont 1 à 3 enfants qui suivent les cours de répétition dont 5 parents payent 5000-10000f pour chaque enfant par mois et 2 parents paient 11000-20000fCFA. Puis, parmi les parents ayant 4 enfants à plus qui suivent ces cours, une seule paie 21000-30000f CFA. Cela montre que les parents font d’énormes dépenses par an en dehors des frais de scolarité et de fournitures scolaires. À cet effet, on peut dire que l’éducation est presque devenue comme un « produit marchand » dont il faut nécessairement des moyens financiers pour y accéder.

Effets de la privatisation de l’enseignement secondaire général dans la ville de Zinder

Effets positifs de la marchandisation de l’éducation

28La création des écoles privées a des aspects positifs que ni l’État, ni les parents d’élèves ni les fondateurs ne peuvent ignorer dans un pays comme le Niger. On peut citer entre autres :

29La réinsertion des élèves exclus de l’école publique.

30Un proviseur interrogé dit à ce sujet : « s’il n’y a pas des écoles privées, imagine ce qui va advenir comme conséquences dans nos sociétés ». (Entretien du 01/08/2022).

31De la formation à la réussite scolaire :

32La privatisation dans l’enseignement secondaire est une voie de réussite scolaire. C’est presque un secret de polichinelle que les écoles privées donnent plus de résultats aux examens que les écoles publiques. Dans la même lancée, un chef du personnel d’une DDEN affirme :

 Les meilleurs élèves de DDEN II sont dans les CSP Dan Bassa et Saint Joseph, car dans le classement des élèves admis au BEPC en 2022 au niveau de la région de Zinder, les cinq (5) premiers élèves sont de ces deux établissements privés ». Cet inspecteur de l’éducation ajoute : « même si le public ne fait pas un bon enseignement, il y a des gens qui ne peuvent pas se payer le privé (Entretien du 15/09/2022).

33Cet acteur montre d’une part la performance des écoles privés et la non performance des écoles publiques tout en regrettant d’autre part que ce ne sont pas tous les parents qui peuvent inscrire leurs enfants dans les écoles privées. Ces derniers se voient alors dans l’obligation de garder leurs enfants dans les écoles publiques peu performantes.
La figure N° 2 résume quelques aspects positifs de l’école privée sur l’économie locale.

Figure N°2 : aspects positifs sur l’économie locale

Image 10000201000002E4000000D07666921C47B65B56.png

Source :Enquête de terrain, Zinder, juillet-novembre 2022.

34Le phénomène de la marchandisation de l’éducation dans la ville de Zinder procure beaucoup de revenus aux promoteurs, à leurs employés et à d’autres acteurs indirects comme les transporteurs, les restaurateurs ou les libraires. C’est ainsi que les enquêtés ont dégagé des aspects positifs comme le développement du transport urbain (40%), la création d’emploi (36,2%), l’augmentation du revenu des enseignants vacataires (26,1%), l’enrichissement des fondateurs (21,7%) et le développement de la micro-entreprise (14,5%).

35D’autres aspects économiques positifs de la multiplication des écoles privées n’ont pas échappé à cette recherche. Ce sont entre autres la souplesse pour l’État sur le budget à allouer à l’éducation à travers la réduction des effectifs des élèves dans les établissements publics, le paiement de la fiscalité par les écoles privées, le paiement des frais d’eau et d’électricité, des frais de locations des locaux pour certaines écoles et les frais de publicités aux médias.

Effets négatifs de la marchandisation de l’éducation

36Cette recherche a fait ressortir plusieurs effets négatifs liés à la marchandisation de l’éducation :

37L’indiscipline dans les écoles privées au sujet de laquelle un responsable de l’éducation a affirmé que « les élèves du privé se permettent de tout faire car ils se disent que leurs parents ont payé les frais de scolarité » (Entretien du 16 /09/ 2022)

38L’observation directe a permis de relever des comportements des élèves des écoles privées à savoir : la manière de s’adresser aux enseignants et à l’administration, les tenues indécentes, les coiffures etc.

39la non application des sanctions prévues par les règlements intérieurs des écoles  : Selon le représentant du syndicat des élèves « la non application du système de renvoi et d’exclusion des élèves, les achats des épreuves et des fausses notes attribuées aux élèves dans le privé constituent des défis à relever dans l’enseignement privé à Zinder » (Entretien du 04/11/2022) ;

40la banalisation de l’éducation à propos de laquelle un surveillant d’un établissement privé note : « la mobilité des élèves (changement d’établissements) vers de nouveaux établissements privés affecte la stabilité du cursus scolaire et crée des dommages aux établissements» (entretien du 02/10/2022).

41la dévalorisation de l’enseignement public qui est devenue presque un leitmotiv chez tous de dire que l’école publique ne vaut plus rien. Auparavant l’école privée été la boite de récupération des élèves chassés du public pour insuffisance de travail ou pour indiscipline caractérisée ; elle devient aujourd’hui l’école de premier choix de ceux qui ont les moyens y compris les acteurs de l’école publique comme les ministres de l’éducation, les directeurs régionaux, les inspecteurs et même les enseignants craie en main du public.

Discussion des résultats

42Le développement de l’offre éducative privée s’explique par plusieurs facteurs. Ces derniers se résument en deux éléments principaux : la demande sociale et l’offre éducative privée pouvant relever du domaine social, politique ou économique. À cet effet, C. LEPAGE (2014) rapporte que les écoles privées sont créées à cause de l’insatisfaction du système éducatif public et de l’adhésion par les parents. En effet, cette recherche a fait ressortir entre autres raisons de la multiplication des écoles privées à savoir : l’exclusion massive des élèves des écoles publiques (27%), le développement de l’entreprenariat privé à Zinder (18%), la fréquentation de l’école privée comme prestige social pour les parents et les enfants (11%), la croissance démographique (8%). C’est dans la même logique que A. VAN ZANTEN (2023), a montré que l’émergence de la marchandisation de l’enseignement secondaire et supérieur en France, est expliquée par l’insatisfaction et l’anxiété des usagers surtout ceux qui ont un certain niveau de ressources économiques et la capacité des secteurs privés à s’adapter aux demandes spécifiques de ces usagers ainsi que la liberté de l’enseignement et la libre entreprise reconnues par l’État. E. JAMES (1992) a aussi montré que ces deux raisons invoquées par A. VAN ZANTEN, sont des facteurs favorisant la marchandisation des établissements privés de l’enseignement secondaire général. Cet auteur ajoute qu’il y a un excès de la demande de l’offre éducative privée à cause de la faiblesse de l’enseignement public et de la saturation des écoles publiques. En plus, en grande partie, les données de la collecte montrent que les écoles privées se sont fixées pour mission de donner une seconde chance aux élèves exclus des écoles publiques. Un proviseur d’un ancien établissement privé a relaté dans ce sens que « le 1er promoteur des écoles privés au Niger en l’occurrence Lamine KOULIBALY, ancien cadre de l’éducation, pensait à l’avenir des élèves exclus de l’école publique dont les uns trainaient dans les rues et les autres partaient à l’exode » (entretien du 10 octobre 2022). L. GABRIEL et L. ALAIN (2000) cités par J. WANG (2021) corroborent cette idée en mentionnant : « les écoles privées ont été, de prime abord, créées et pour offrir une seconde chance aux élèves victimes de l’échec au public ». Il faut noter que la recherche a fait ressortir quelques manifestations de la marchandisation de l’enseignement secondaire général dans la ville de Zinder qui sont entre autres : les desseins lucratifs des promoteurs des écoles privées, l’instabilité et la hausse des frais de scolarité qui varient de 60 000f à 140 000franc CFA pour les classes de troisième et 100 000 à 210 000 franc CFA pour les classes de terminale, dans un pays où le citoyen ordinaire vit avec moins d’un Dollar par jour et dans une ville où près de 1/3 de la population vivent dans des maisons de location et ou de fortune. A ces frais de scolarités peu accessibles à la population de Zinder, s’ajoutent d’autres dépenses comme les fournitures scolaires, les frais de transport des élèves, les uniformes scolaires etc. Un autre aspect qui entre aussi dans les manifestations de la marchandisation de l’éducation à savoir l’inscription des enfants pour les cours de répétition dont le frais mensuel par élève et par mois varie de 5000 à 30000franc CFA. Ces résultats liés aux dépenses scolaires confirment ceux d’AW. CHEIKH TIDIANE (2023), dans le cas du Sénégal. L’auteur s’est aperçu que la diversité des frais scolaires annuels varie de 50 000 à 400 000 francs CFA et autres charges notamment les fournitures, les uniformes, les manuels scolaire, les cours de soutien, les sorties pédagogiques etc. Selon cet auteur, il y a l’absence des mécanismes étatiques de régulation de coûts de l’enseignement. Ces deux résultats de la recherche montrent que les charges évoquées font aussi partie des signes de la marchandisation de l’éducation au Niger comme elles le sont au Sénégal. C’est ainsi que selon A. ASSANE IGODOE & M. ISSOUFOU (2022) 

En raison du coût élevé de la scolarisation dans les établissements privés, cette offre principalement urbaine exclut les familles rurales. Par ailleurs, perçue comme une offre de qualité et en raison de la réussite des élèves qui y est meilleure, de plus en plus de parents consentent d’importants efforts financiers pour y inscrire leurs enfants.

43Ceci montre que bien que les promoteurs des écoles privées continuent à augmenter le coût de la scolarisation, les parents ne se découragent plus car ils sont satisfaits de cette offre.
Par conséquent, on peut dire que les écoles privées participent à la scolarisation de la population de la ville de Zinder dans la mesure où elles réinsèrent les élèves exclus du système scolaire.

44C’est dans ce sens qu’E. JAMES (1992) a noté : « l’enseignement privé est une réponse à l’enseignement public qui ne répond pas aux attentes des ménages ». Cependant, les résultats de la recherche ont montré que la marchandisation de l’éducation a plusieurs effets néfastes dans la ville de Zinder. Ce sont entre autres la banalisation de l’éducation, la dévalorisation de l’enseignement public, la non application des sanctions disciplinaires, la fraude aux examens et l’octroi des notes non méritées aux élèves du privé, etc. À cet effet, T. MEL (2022, p. 50) explique que « certains personnels des écoles privées développent des attitudes déviationnistes allant de la vente des documents aux élèves à la manipulation des notes contre rémunération en passant par le droit de cuissage envers les filles ».

45Malgré tout, la population perçoit positivement l’éducation privée en fonction de leur intérêt. À ce propos, la Fondation Friedrich Ebert Stiftung/Union Syndicale pour une Éducation de Qualité/Internationale de l’Éducation (2023), a souligné que

Le déploiement du privé est entretenu par « l’insatisfaction réelle ou supposée des parents envers l’enseignement public ; même les populations à revenus financiers modestes développent tout un éventail de modalités pour inscrire leurs enfants dans cette éducation business avec la conviction de leur trouver une meilleure scolarisation.

46On peut conclure avec les propos d’un surveillant d’une école privée interrogé le 28 septembre 2022 : « Tout le monde veut gagner dans le système éducatif, les commerçants, les menuisiers, etc.».

Conclusion

47Au Niger, la privatisation dans ou de l’éducation est un phénomène en développement surtout pendant ces deux dernières décennies. D’une manière générale, la recherche a analysé les facteurs et les effets de la marchandisation dans l’éducation notamment dans les écoles privées de l’enseignement secondaire général dans la ville de Zinder.

48C’est ainsi que ce fait s’explique par divers facteurs qui se manifestent de plusieurs façons et engendre beaucoup d’effets sur le développement socioéducatif et sur l’économie dans la ville de Zinder avantageant par moments les fondateurs de ces écoles, les parents et leurs enfants, les enseignants et l’État.

49Dans la ville de Zinder, il apparait que la marchandisation de l’éducation est liée à la non-satisfaction des parents par l’enseignement public, au prestige social chez certains parents et leurs enfants. Elle est aussi liée aux politiques nationales et internationales soutenant l’offre éducative privée et à la qualité du service offert par les écoles privées.

50Cependant, la recherche a identifié un certain nombre d’effets négatifs en lien avec la marchandisation/privatisation de l’enseignement secondaire général dans cette ville. Ces effets sont entre autres la dévalorisation de l’enseignement public, la fraude, l’octroi des notes non méritées aux élèves et l’affaiblissement des revenus des ménages.

51En somme, cette recherche a fait comprendre que le développement continu de l’offre éducative privée dans les grandes villes du Niger comme Zinder est un atout pour la société et l’État. Mais, si l’État ne fait pas de contrôle et de suivi rigoureux sur des écoles privées, il risquerait d’avoir des graves conséquences sur le système éducatif nigérien.

Bibliographie

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STUDIO KALANGOU, Les écoles privées au Niger, [Débat radiophonique diffusé sur l’antenne de RTV Gaskiya le 27 octobre 2022 à 18H20MN], Zinder, 2022.

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VAN ZANTEN Agnès., « Marchandisation à l’œuvre dans le système scolaire et supérieur français : raisons conséquences », in Administration & éducation, vol 4 (180), 2023, p.27-33.

WANG Jing., Les perceptions des pédagogies innovatrices en Chine contemporaine : exemple des écoles privées chinoises, [thèse de doctorat en Sciences de l’Éducation, École doctorale : ED : 4485, Université de Lyon2], Lyon, 2021,374 p.

Notes

1 : https://www.unicef.org/wca/Fr consulté le 16/01/2024.

2 Débat sur le Studio Kalangou diffusé le 27 octobre 2022

Pour citer ce document

Abdoul Wahab SOUMANA et Ayouba DJIBO IBRAH, «De la privatisation de l’école à la marchandisation de l’éducation dans les établissements privés de l’enseignement secondaire général de la ville de Zinder», Mu Kara Sani [En ligne], Dossiers, 40 ‖ DECEMBRE 2024, mis � jour le : 03/02/2025, URL : https://mukarasani.com:443/mukarasani/index.php?id=392.

Quelques mots à propos de :  Abdoul Wahab SOUMANA

Département de sociologie-anthropologie

Université André Salifou de Zinder

soumsant@gmail.com

Quelques mots à propos de :  Ayouba DJIBO IBRAH

Laboratoire d’Études et de Recherches en Sociologie et

Anthropologie (LERSA)

Université Abdou Moumouni de Niamey