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40 ‖ DECEMBRE 2024

Abdoulaye HOTTO

Le pouvoir politique légitime selon Jean Jacques Rousseau

Article

Résumé

Tout en puisant aux sources de la réflexion politique traditionnelle, Rousseau s’écarte progressivement de ses prédécesseurs, Bodin, Hobbes. Il affirme que le fondement légitime de tout pouvoir politique repose sur le consentement du peuple et répond à la nécessité de fixer la société sur une base stable. Ainsi le pacte social est le fondement d’un pouvoir politique légitime à tous les égards.

Abstract

While drawing on the sources of traditional political reflection, Rousseau gradually distances himself from his predecessors, Bodin, Hobbes. He asserts that the legitimate foundation of all political power rests on the consent of the people and responds to the need to establish society on a stable basis. Thus the social pact is the foundation of a political power that is legitimate in all respects.

Texte intégral

pp.252-268

01/12/2024

Introduction

1A l’époque moderne, La légitimité définit ce qui doit être et s’impose comme irréductible à ce qui est.  Plus précisément, on peut définir la légitimité en différenciant les formes d’injustice. Cependant, on peut accuser un système légal d’être injuste en lui-même et par lui-même parce qu’il est illégitime. Ainsi, Une telle accusation conduit à distinguer la légitimité et la légalité. Celle-ci définit le fait de la loi, l’existence historique du droit - ce que l’on nomme le « droit positif ». Toutefois ce « droit » ne doit pas être nécessairement considéré comme légitime.

2Max weber lui trouve trois fondements à la légitimité : la tradition, le charisme et la légalité. L’éternel hier » c'est-à-dire celle des coutumes sanctifiées par leur validité immémoriale et par l’habitude enracinée en l’homme de les respecter. Tel est le pouvoir traditionnel que le patriarche ou le seigneur terrien exerçaient autrefois. En second lieu l’autorité fondée sur la grâce personnelle et extraordinaire d’un individu (charisme) ; elle se caractérise par le dévouement des sujets à la cause d’un homme et par leur confiance en sa seule personne en tant qu’elle se singularise par des qualités prodigieuses ou d’autres particularités exemplaires qui font le chef. Il y a enfin l’autorité qui s’impose en vertu de la légalité en vertu de la croyance en la validité d’un statut légal et d’une compétence positive fondée sur les règles établies rationnellement. C’est là le pouvoir tel que l’exerce les pouvoirs modernes, ainsi que tous les détenteurs du pouvoir qui s’en approchent des « idéaux types » en tant qu’ils ne se rencontrent dans aucun pouvoir à l’état pur. Ainsi selon weber (1959, p. 113) :

 L’ensemble des efforts que l’on fait en vue de participer au pouvoir ou d’influencer la répartition du pouvoir, soit entre les états, soit entre les divers groupes à l’intérieur d’un état

3. C’est ce que weber a appelé légitimité rationnelle. Cette sorte de légitimité ou domination rationnelle est la forme de justification qui s’offre aux pouvoirs politiques modernes. Les classes dirigeantes se voient dans la nécessité de justifier leur autorité, de se faire accréditer, par les peuples qu’elles dominent. Elles se servent des lois. Elles demandent seulement de la part des populations qu’elles exploitent, une croyance en la légitimité de leur domination.

4Rousseau pose le problème de la légitimité politique en terme de volonté, de décision à prendre. A quelles conditions un pouvoir politique est-il légitime ? Le contrat social de Rousseau fonde –il un pouvoir légitime ?

5L’objectif premier de Rousseau, contrairement à Max weber est de déterminer les conditions de possibilités d’une autorité légitime. Même s’il essaie de mettre la loi au-dessus des hommes, il la conçoit néanmoins comme une loi humaine élaborée par les hommes. La justice de l’autorité, sa légitimité doit donc s’apprécier par rapport à son fondement qui est le droit humain et par rapport à son origine, qui n’est ni divine, ni naturelle au sens aristotélicien du terme, mais conventionnelle.

6D’une part nous analyserons une nouvelle conception du pouvoir politique à travers la philosophie politique de Jean Bodin et de Hobbes, d’autre part revenir sur la conception du pouvoir politique de Rousseau

Une nouvelle conception moderne du pouvoir politique légitime

7Ainsi au XVIe siècle, la notion connaît l’évolution décisive dans sa forme moderne. Comme l’écrit Raymond Polin (1981, p.100) :

En faisant du caractère absolu de la souveraineté un élément fonctionnel du pouvoir de gouverner, Bodin implique que l’existence de la souveraineté absolue est essentielle au gouvernement de toute république, quel que soit son régime, monarchique, aristocratique ou démocratique.

De ce fait Bodin opère donc une conception moderne de la souveraineté dans Les Six Livres de La République.

La conception bodinienne du pouvoir légitime

8Tout en quêtant dans des multiples traditions politiques et juridiques, il construit une notion qui, ne peut se déduire de l’histoire. Cette notion se définit comme la puissance absolue et perpétuelle d’une République, c’est à dire à la fois comme ce qui se fait qu’elle peut s’affirmer face aux autres Etats et comme ce qu’il ordonne intérieurement. Faire la loi est la fonction principale du souverain. Spitz (1998, p.21) affirme   en ce qui concerne le pouvoir politique :

 Ce rôle créateur du souverain est incontestablement souligné par Bodin dans la République, et il constitue une innovation majeure par rapport à la tradition constitutionnaliste. Il traduit ce passage, si important dans l’histoire des Etats modernes, d’un pouvoir passif et instrumentalisé à un pouvoir actif et innovant, créant lui-même les normes auxquelles il assujettit les citoyens.  

9La clef d’un pouvoir politique légitime, c’est donc l’autonomie, il s’agit de penser un pouvoir pleinement autonome, qui donne la loi à l’Etat sans la recevoir de l’extérieur (et qui peut la casser dans les mêmes conditions). Par conséquent, penser le pouvoir politique, c’est déterminer les qualités qui permettent à un sujet d’exister de manière autonome. Son contenu consiste en un ensemble indivisible de prérogatives politiques fondamentales : c’est ce que Bodin nomme, au chapitre 9 du livre I, « les vraies marques de souveraineté », en procédant comme s’il déduisait les attributs de la souveraineté définie dans le chapitre8. Les prérogatives souveraines consistent à juger en dernier ressort, à donner la loi à tous les sujets et à pouvoir la casser, à faire la paix et la guerre, à nommer tous les officiers et magistrats du pays, à lever les impôts et à affranchir qui de droit, enfin à accorder la grâce à qui mérite la mort. Bodin insiste sur l’indivisibilité de ces prérogatives. Il y a donc, dans la fondation théorique du pouvoir politique légitime chez Bodin, un principe qu’il faut considérer comme la pierre angulaire sur laquelle se construit l’ensemble de son édifice politique.  

10Sa formation résulte d’abord et avant tout de l’application à la sphère du pouvoir de la révolution du droit, contenue dans l’idée de souveraineté, selon la validité du droit dérive de la seule volonté exprimée par une autorité considérée compétente : le souverain ; la grande force de Bodin fut alors de fonder cette nouvelle forme juridique dans la sphère politique que Machiavel avait préalablement dessinée .La souveraineté est donc un pouvoir extrême de domination de l’Etat sur les personnes qui entrent dans le cercle de sa juridiction . La loi par laquelle se manifeste cette souveraineté est conçue comme un commandement auquel personne ne peut déroger. Dès lors Ce régime juridique spécifique lui confère le statut de norme suprême valant pour tous les sujets étatiques : En effet, la souveraineté ou le pouvoir politique légitime n’est pas seulement un slogan politique mais une notion juridique qui a des implications concrètes. Elle est le point de jonction entre la philosophie politique et les normes juridiques. La puissance conceptuelle de la souveraineté tient ainsi à la faculté de transgresser un principe politique en technique juridique.

11Parmi ces techniques figure l’unilatéralité .de la loi qui permet d’abroger toutes les normes et d’échapper au contrôle d’une autre autorité. C’est qui fait dire à Bernard Bruno (2006.p.200) :

 La théorie bodienne de la souveraineté nous est donc apparue comme impliquant les trois thèses suivantes : 1) le souverain est principe d’unité du corps politique, unissant sous son commandement une multitude anarchique.2) la souveraineté du peuple est une idée chimérique, contradictoire avec le principe de la souveraineté ;3) le citoyen se définit comme le sujet sur qui s’exerce la souveraineté. 

Afin de réaliser son dessein, selon Goyard Fabre (1999, p.23) :

Bodin adopte une position originale qui consiste à transposer « la notion de souveraineté du domaine ecclésio- théologique, où la doctrine traditionnelle l’avait inscrite, à la sphère juridico- politique. Il ne s’interroge donc ni sur l’origine ni sur la genèse de la souveraineté, mais sur son essence,

12Et pour en parler des limites de la conception du pouvoir politique légitime bodinien est, en son essence, une volonté d’exercer sur d’autres volontés, qui lui obéissent.
Le pouvoir politique, c’est soumettre des volontés, et n’être soumis à aucune. C’est dans ce sens que Bruno Bernadi (1996, p.99) à propos de la philosophie politique de Bodin.
C’est d’ailleurs la raison essentielle qui lui faisait voir dans le gouvernement du peuple une chimère »

La position hobessienne

13Hobbes est donc un auteur qui fait, lui aussi, de la souveraineté la pierre angulaire de son système politique. Il s’agit d’édicter l’engagement contractuel par lequel tous renoncent à se gouverner par eux-mêmes, s’en remettent au souverain, lequel, armé de la loi, va diriger. Ainsi le contrat crée le droit ; il engendre le droit politique. Celui de la représentation. Il s’agit d’une convention passée entre chaque individu, sans que le souverain, tiers bénéficiaire de cette chaîne de conventions individuelles, soit lui-même partie prenante. Le souverain ou le pouvoir politique situé à l’extérieur de cette chaîne devient selon Hobbes (1999, p. 178) « le dépositaire de la personnalité ».

14Dès lors le peuple et le souverain sont distincts à tels point que la puissance souveraine ne peut jamais être révoquée par une volonté du peuple, même unanime selon Hobbes (2000 p.164) : « la puissance souveraine ne peut pas être, révoquée légitimement quoique ce soit du consentement. ».

15Ce pouvoir légitime absolu qui en résulte du contrat est la seule garantie de la paix et de l’impossibilité d’un retour de l’état de nature ; selon Hobbes, le caractère absolu du pouvoir est la condition de sa légitimité, de sa stabilisation, mais aussi la garantie stabilité et ainsi ce pouvoir souverain est moins dommageable que l’absence de pouvoir.  Aussi Hobbes (2000, p 191) affirme :

 Les gens ne tiennent pas compte de ce que la condition de l’homme ne peut jamais être exempte de toute espèce d’incommodité, et de ce que les plus grandes incommodités dont on peut imaginer affligé l’ensemble du peuple, sous quelque forme du gouvernement que ce soit, sont à peine sensibles au regard des misères et des calamités affreuses qui accompagnent soit une guerre civile, soit à l’état inorganisé d’une humanité sans maître.

16Autrement dit, selon Hobbes l’obéissance conditionne la stabilité politique et c’est seulement avec elle que deviennent possibles la paix et la prospérité. Mais loin de se réduire à une simple passivité, l’obéissance politique est au contraire une acceptation et aussi, une adhésion à une action dont l’accomplissement est au bénéfice de la collectivité. Ainsi, ce n’est pas le souverain qui s’accapare arbitrairement du fruit de la concorde et du travail des membres de la collectivité, mais les citoyens eux-mêmes. Partant, Hobbes pense que la souveraineté n’est pas la capacité de faire n’importe quoi, étant elle-même soumise à une loi suprême qu’il appelle salut populaire « salus populus ». Hobbes (1999, p. 296) :

17La fin de cette institution étant la paix et la défense de tous, et quiconque ayant droit à la fin a droit aux moyens, il revient de droit à tout homme ou assemblée qui possède la souveraineté d’être juge à la fois des moyens de paix et de défense.

18 Ainsi pour Hobbes le pouvoir absolu est la seule garantie de la paix et de l’impossibilité d’un retour de la nature, qui est un état d’insécurité.

19Avec Rousseau, nous sommes dans une conception originale de la nature de la souveraineté.

20 Désormais nous pouvons mieux mesurer aussi la différence entre Hobbes et Rousseau pour mieux faire ressortir l’originalité de la pensée de Rousseauiste.

Contrat social comme source de la légitimité du pouvoir politique

Rousseau (1966, p. 66) :

Puisqu’ ’aucun homme n’a une autorité naturelle sur son semblable, et puisque la force ne produit aucun droit, restent donc les conventions pour base de toute autorité légitime parmi les hommes.

Le pacte social comme source de légitimité

21Ainsi dès le début du contrat social, Rousseau (1964, p .361) annonce son intention :

Je veux chercher dans l’ordre civil il peut y avoir quelque règle d’administration légitime et sûre, en prenants les Hommes tels qu’ils sont, et les lois telles qu’elles peuvent être : je tâcherai d’allier toujours dans cette recherche ce que le droit permet avec ce que l’intérêt prescrit, afin que la justice et l’utilité ne se trouvent point divisées.

22Dans l’état de nature, il n’y a pas de problème de pouvoir ; il y a une parfaite concordance entre l’homme et le monde. Chacun vit dans l’indépendance et la liberté. Dans l’ordre civil qui est un domaine de l’arbitraire et du jugement humain, le problème prend une forme plus brutale : les uns commandent, d’autres obéissent. A quelles conditions cet état de fait est –il doit –être légitime ? Le présupposé fondamental du politique étant le rapport commandement- obéissance ? Qu’est ce qui justifie cette autorité ?

23La force constitue pour en effet pour les hommes une contrainte à l’obéissance. On le retrouve chez les théoriciens de l’absolutisme en l’occurrence chez Hobbes qui n’hésite pas à placer dans le Léviathan toute autorité politique. L’existence de la force comme un pouvoir contraignant est un fait que Rousseau ne peut ignorer. Cette démarche signifie que l’autorité ne suffit pas à admettre pour légitime une autorité. Si le pouvoir conquis par la force trouve nécessaire de se justifier, c’est qu’en elle –même, la force ne peut constituer un critère de légitimation ; Rivero (1978, p.15) « la légitimité est la pierre philosophale qui transforme en or pur le plomb vil du pouvoir de fait »

24La légitimité est autre chose donc que la force selon Rousseau. Ce qui fonde l’autorité, c’est moins sa force que le consentement même des citoyens. Si le tyran trouve nécessaire de s’appuyer sur le consentement ou l’accord des peuples, c’est que son pouvoir ne dépend pas seulement de lui. Ainsi c’est le vouloir du peuple qui établit le droit et non la force de celui qui exerce le pouvoir.

25A cet effet, Le fait est du domaine de la contingence, donc instable et fugace. Le droit est permanent, stable, universel. Car le citoyen de Rousseau, est un être libre, qui ne doit pas être enchaînés à un milieu changement ; or la force en tant que fait est temporaire et peut s’éteindre. C’est pourquoi même selon Rousseau (1964, p. 354) « le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir »

26En supposant que la force justifie le pouvoir politique, « l’effet change avec la cause », c'est-à-dire dès que la force cessera, le pouvoir devra l’être également. N’ayant plus aucune base fixe et stable, tout pouvoir serait sans cesse à la merci du premier venu pourvu qu’il soit fort.

27Pour Rousseau, l’érection de la force en droit n’a d’autre signification que la réintroduction de l’état de guerre. On connaît la critique qu’il réserve à Hobbes à ce sujet. Ce qu’il faut comprendre, c’est que le droit et la force sont par natures disparates ou disjoints. Il n’y a pas dans la force rien pour produire le droit. Toute autorité politique qui entendait se justifier par la force ne serait qu’une usurpation, donc illégitime. De ce fait le droit d’esclavage est nul.

28Ainsi, Une société de force et de violence contient en elle –même son propre germe de dépravation. Cependant, si on ne peut déduire analytiquement le droit de la force, on peut pourtant établir une liaison entre les deux, puisqu’il y a des régimes, des pouvoirs établis. La nature d’une telle liaison est synthétique.

29Par ailleurs, la légitimation est une exigence ressentie par tout pouvoir politique, qui est pouvoir de violence et de domination d’une classe ou d’un groupe sur d’autres couches sociales. Ainsi l’exigence de justification des pouvoirs politiques modernes répond donc plus à un souci de se donner bonne conscience en faisant accréditer un mode d’exploitation. Une telle légitimité peut plus vouloir l’intérêt privé d’une classe ou groupes d’individus, que l’intérêt général. Les sociétés modernes, sont aux yeux de Rousseau des sociétés dépravées par une mauvaise socialisation, par des mauvaises institutions. Chacune cherche au contraire à faire et à nourrir la croyance à sa légitimité.

30Ce moyen terme, c’est le pacte social. Intimement lié à la volonté générale. Pour mieux saisir la position de Rousseau, il ne serait pas inutile d’examiner fût-ce brièvement, d’autres fondements possibles de la légitimité et voir comme sa pensée pourrait se situer vis-à-vis d’eux.
Rousseau ne rejette pas catégoriquement l’administration de la compétence comme critère de la détention du pouvoir comme chez Weber. Il l’accrédite même Rousseau (1964, p. 380) :

Les particuliers voient le bien qu’ils rejettent ; le public veut bien qu’il ne voit pas ; tous ont également besoin de guide. Il faut obliger les uns à se conformer leur volonté à leur raison ; il faut apprendre à l’autre à connaître ce qu’il veut.

31Cependant, si la compétence n’est pas rejetée par Rousseau comme critère de pouvoir, elle ne doit, selon lui concerner que ceux qui exercent le pouvoir, c'est-à-dire ce qu’il nomme gouvernement. Or ce qui intéresse Rousseau pour légitimer le pouvoir politique. C’est le fondement et la justification de ce pouvoir qui priment. Et cela, Rousseau ne le trouve dans aucun homme particulier, aussi, exceptionnel fut –il ? Du reste même le législateur, pour aussi compétent qu’il puisse être, ne peut être qu’un conseiller, c'est-à-dire quelqu’un qui propose des lois et non qui les fonde.

32Pour Rousseau, ce qui importe, c’est la base même de la légitimité. La base de la légitimité fait voir sur quels principes ultimes peut s’appuyer la validité d’une domination qui prétend à l’obéissance des fonctionnaires envers le souverain, et des sujets envers les deux.

33Pour Rousseau, la réflexion politique traditionnelle sacrifie la liberté à l’obéissance. Ce sacrifice s’opère au moyen de discours qui légitiment une théorie de l’obéissance déconnectée de la liberté. Cette analyse est présente dans les premiers chapitres du contrat social.

34Dans les chapitre II, III, et IV, du contrat social, démontrent que la légitimité politique ne peut pas être dérivée d’un droit naturel qui se retrouverait dans la famille, dans la force ou dans l’esclavage. Rousseau refuse un droit naturel qui serait antérieur au politique et que le politique devrait simplement garantir et développer. En effet Rousseau ne se contente pas d’affirmer que le droit politique ne saurait être fondé par la nature. Dans ces chapitres Rousseau critique une certaine définition de l’obéissance politique qui serait fondée naturellement sur des rapports inégalitaires. Cette définition interdirait l’établissement de lien politique entre l’obéissance et la liberté ; voilà l’enjeu. Ici Rousseau, critique les discours politiques qui, faisant jouer l’obéissance politique dans un certain décor, empêchent le politique par la liberté.

35En revanche, dans le cas de figure d’un peuple qui aliène sa liberté à un roi, le peuple ne reçoit même plus la garantie de la subsistance. On pourra alors répondre que la clause de la convention pourra jouer sur la tranquillité et sur la sécurité. La formule de l’aliénation pourrait être selon Rousseau (1964, p.355-356) : On vit tranquille aussi dans les cachots ; en est-ce assez pour y trouver du bien ? Les grecs enfermés dans l’antre du cyclope y vivaient tranquilles, en attendant que leur tour vint d’être dévorés.

36Dans le second plan, Rousseau dévoile l’élément essentiel sur lequel doit reposer toute convention politique. La convention politique ne doit pas produire une dissymétrie totale entre ceux qui sont gouvernés et ceux qui gouvernent. Si tel est le cas, ceux qui gouvernent n’ont plus d’obligation à l’égard de ceux qui sont gouvernés. La convention doit produire une obligation réciproque de ceux qui sont gouvernés. La convention doit produire une obligation réciproque.

37Ainsi, Dans la définition légitime de l’obéissance est mise en avant, la notion de volonté et de liberté. Cette obéissance, en résultant d’un acte de volonté de tous les hommes, produit une obligation mutualité de la part de tous les participants politiques. L’essence de ce corps réside dans l’identification de l’obéissance avec la liberté, mais cette identification a pour condition de possibilité la notion de citoyen. C’est elle qui assure la réalité de l’accord entre l’obéissance et de la liberté. Rousseau (1964, p. 427) affirme que : « l’essence du corps politique est dans l’accord de l’obéissance et de la liberté, et (…) ces mots de sujet et de souverain sont des corrélations identiques dont l’idée se réunit sous le mot citoyen ».

Précisément, Lenoir (1998, p.352) :

38 Aux yeux de Rousseau une convention politique est légitime si la justice et l’utilité ne se trouvent point divisées. Rousseau permet de penser une légitimité politique qui se réfléchit en terme d’utilité mais une utilité qui n’est pas synonyme d’intérêt privé, d’un intérêt qui se calcule et qui produit les phénomènes solidaires de l’inégalité et de la domination.

39Cette utilité politique n’est donc pas quelque chose qui se calcule mais qui se produit. Cette utilité est la liberté pour Rousseau. Elle doit produire une société dans laquelle la liberté de l’homme n’est pas simplement garantie mais active, politiquement active, c'est-à-dire participant à l’élaboration des droits et des lois.

40La légitimité du pouvoir politique se réfléchi par une discontinuité avec les thèses naturalistes. La nature du corps politique est un être orignal. C’est cette originalité qui est décisive pour comprendre la conception de la légitimité du souverain. Le corps politique, résultant d’une convention, constitue par cette convention un être spécifique et orignal, possédant des propriétés propres et distinctes de celles des êtres particuliers qui le composent à peu près comme les composés chimiques ont des propriétés qu’ils tiennent d’aucun des mixtes qui les composent 

41Ainsi donc, ni la force, ni la tradition, ni légalité comme ensemble des règles du droit positif, ni la compétence ne peuvent être retenues par Rousseau pour servir de justification, le pouvoir parce qu’elle est une contrainte physique, une nécessité prudente et non un acte de volonté, de liberté.

42La tradition non plus dans la mesure où par nature aucun homme n’à une autorité sur ses semblables et que chaque homme, chaque peuple, chaque nation ne doivent être les auteurs de leurs propres acteurs.

43La légalité est refusée car elle ne concerne que le fonctionnement du pouvoir et non son fondement, ni sa justification. Les lois ne doivent pas être réduites à des simples mesures techniques. Toute autorité politique qui entendrait se justifier par la force ne serait donc qu’une usurpation, donc illégitime. De ce fait le droit d’esclavage est nul. Ainsi pour Rousseau, l’érection de la force en droit n’a d’autre signification que la réintroduction de l’état de guerre. Et le pouvoir doit donc s’appuyer sur autre chose que la force.

44La pensée politique de Rousseau s’est opposée à cette tradition qui justifiait le pouvoir monarchique. On sait à quel point il a combattu la tyrannie et tout pouvoir qui asservit les peuples. Rousseau (1964, p.111-112) : « j’aurais voulu naître dans un pays où le souverain et le peuple ne pussent avoir qu’un seul et même intérêt ».

45Ainsi, Rousseau n’admet pas le pouvoir politique de son siècle comme un pouvoir légitime. La réalité sociale et politique telle que la tradition la transmise à la postérité ne peut pas prétendre à une quelconque légitimité. La légitimité de l’autorité politique selon Rousseau, procède plus du fondement que de l’exercice du pouvoir. Le fondement de celle –ci réside dans le pacte fondamental. Le pouvoir politique légitime est celle qui procède de la volonté même du corps social.

46 Le pacte social est pour cela la voie de conciliation de l’autorité et de la liberté. L’autorité politique sera légitimée en tant qu’elle préserve la liberté de l’homme. Le problème fondamental est celui du fondement, de la source et du lieu de l’autorité et non pas de son exercice. Le seul pouvoir légitime est celui auquel on a consenti. Il n’est pas d’autorité légitime, de lois légitimes qui n’émanent du peuple selon Rousseau. Ainsi la souveraineté du peuple peut être entendue d’une part, comme le refus de la monopolisation du pouvoir en une seule personne ou en groupe de personnes ; et d’autre part, comme la volonté d’une participation populaire à la chose publique.

47 Le fondement permanent de l’autorité politique, est ce qui lui confère sa légitimité ; mais ce fondement, qui est le pacte social, est aussi un acte de chaque individu qui a accepté de faire partie intégrante du corps. En fin de compte il Il n’y a pas d’opposition entre l’individu et la volonté générale. Ainsi la volonté, sous la forme d’un libre engagement est bien le fondement de la légitimité politique :
La légitimité du politique renvoie bien donc à un acte l’essentiel. Cet engagement refuse toute explication par la force ou la volonté. La liberté est, non seulement le fondement de la légitimité politique, mais aussi la conséquence directe du contrat social. Ainsi chez Rousseau, la liberté est placée au centre politique. Le politique ne se comprend pas à partir d’une conception de la liberté comme absence d’obstacle. Cette origine de la volonté politique est présente dans chaque citoyen. Chaque citoyen doit posséder la faculté de participer aux décisions politiques. C’est ce que favorise le contrat social de Rousseau.

48 Avant de finaliser l’acte de législation, la liberté et l’égalité trouvent leur fondement dans la clause de l’aliénation totale. La liberté et l’égalité ne sont pas que chez Rousseau, des simples normes régulatrices du politique. Elles participent au fondement de la légitimité du politique. Elles sont, en ce sens constitutives de la légitimité du politique.

La légitimité politique comme garante de stabilité durable

49 La réponse de Rousseau à la question de la légitimité du politique ne s’ordonne donc, ni à la classification des différents régimes politiques, ni à une analyse ; sa réponse s’ordonne à la caractéristique du sujet. C’est pour cette raison que le contrat social est le fait fondamental du politique. Il n’a pas besoin pour se soutenir d’une réalité extérieure et il est constitutif d’un être politique, le droit.

50 Ainsi le contrat est l’acte absolument originaire de la limite du pouvoir politique. Avec le peuple, nous sommes en présence du principe qui gouverne la légitimité politique : l’identité démocratique. Cette égalité de condition est créée par l’identité démocratique, car elle produit les conditions d’existence d’un intérêt commun. C’est seulement en vertu de ce principe que les membres du peuple « s’engagent tous sous les mêmes conditions et doivent tous jouir des mêmes droits. (Rousseau 1964, p.361)

Conclusion

51Rousseau démontre que la légitimité politique ne peut être dérivée d’un droit naturel qui se trouverait dans la famille, dans la force ou dans l’esclavage ; Rousseau critique une certaine définition de l’obéissance politique qui serait fonder sur des rapports inégalitaires. Cette définition interdirait l’établissement du lien politique entre l’obéissance et la liberté. Lenoir (1998, p. 323) :

52 La critique de Rousseau est importante dans ses conséquences, concernant le problème de la légitimité du politique. En dénonçant le vice de subreption de ses prédécesseurs, Rousseau manifeste une idée capitale. Il veut montrer que l’enquête sur les fondements de la légitimité politique doit respecter la différence entre le naturel et le conventionnel. Il s’agit entre ces deux entités d’une différence portant sur deux législations distinctes. Et, c’est cette méconnaissance de ces deux législations différentes qui rend possible une extrapolation subreptice du conventionnel en naturel. Cette subreption rend possible identification de la loi politique à la pure et simple nécessité. Le fondement de la légitimité politique doit reposer sur cette totale différence entre la législation politique, entre la nécessité et l’obligation. 

53La légitimité politique de l’existence humaine ne requiert donc pas l’aliénation de la liberté des hommes. Elle est contraire consécration de leur volonté. Ainsi le pacte social ne tire pas uniquement sa force du consentement de tous les citoyens mais du fait même que tous les hommes y trouvent la garantie de leur liberté qu’ils ne peuvent aliéner sans dégrader leur être. C’est en remplissant notre rôle de citoyen que nous apprenons à être libres, à consulter la raison avant d’écouter nos penchants. Cette société d’hommes libres n’est pas une utopie puisqu’elle correspond à l’exigence rationnelle qui règle notre volonté Le politique doit offrir à l’individu la compréhension que son intérêt naturel et particulier sera mieux garanti par l’Etat politique. Par conséquent, la légitimité du politique est ici la conséquence de la réflexion que l’homme produit sur un intérêt supposé fondamental et antérieur au politique. Il convient ainsi de dégager les enjeux polémiques de la notion de dénaturation chez Rousseau et de monter sa différence avec les pensées de Bodin, Hobbes et même de de Locke.

Bibliographie

BRUNO Bernadi, « Cahier Philosophique », Paris, Numéro,2000, Le Léviathan, Gallimard Paris, 1996, p.65-85.

HOBBES Thomas, du Citoyen, Flammarion, Paris,2010, 512 pages

JEAN FABIEN Spitz, 1998. « Bodin et la souveraineté », Paris, puf,1998,136 pages

NORBERT Lenoir, Domination et légitimité deux stratégies d’interrogation du politique chez Jean Jacques Rousseau, Aix Marseille, thèse, 1998, 639 pages.

POLIN Raymond, La politique de la solitude, Essai sur la philosophie politique de Jean Jacques Rousseau, Paris, éditions Sirey, 1971, 285 pages. 1978 pages.

ROUSSEAU Jean-Jacques, 1964, Œuvres complètes, III, Paris, Gallimard,1978 pages.

ROUSSEAU Jean-Jacques, 1966, Du contrat social, Garnier Flammarion, 1966, 189 pages.

SIMONE Goyard Fabre,1999, l’Etat figure de la politique moderne, Armand Colin, Paris,1999,210 pages.

Pour citer ce document

Abdoulaye HOTTO, «Le pouvoir politique légitime selon Jean Jacques Rousseau», Mu Kara Sani [En ligne], Dossiers, 40 ‖ DECEMBRE 2024, mis � jour le : 03/02/2025, URL : https://mukarasani.com:443/mukarasani/index.php?id=376.

Quelques mots à propos de :  Abdoulaye HOTTO

Université Abdou Moumouni de Niamey

Département de Philosophie, Culture et Communication

abdoulayehotto@gmail.com